Askip.
Il était tard et mon problème de concentration unilatéral m’a poussée à scroller sur TikTok de la main droite tout en regardant Buffy remotiver Angel pour la centième fois de l’œil gauche.
Mon feed est composé de filles sexy, d’êtres humains engagés, d’histoires d’horreur prétendument vraies et de quelques complotistes convaincus. Mais je dois avouer que les filles sexy y sont beaucoup plus nombreuses. Alors, quand j’entends une femme noire commencer sa vidéo en disant : « Je suis moche », je m’arrête sec et je mets sur pause les doléances mélancoliques du vampire le moins utile de la Terre — j’ai nommé Angel. (Buffy, oublie-le, stp. T’es tellement belle et charismatique. J’aime trop tes petites jupes droites et tes boots à bout carré. Tu mérites mieux qu’un mec qui s’effrite au soleil.)
J’augmente la luminosité de mon écran et j’écoute ce que cette jeune femme toute mignonette a à dire sur sa « laideur ».
Elle nous parle de la beauté objective, qu’elle définit comme le fait d’être considérée comme belle par l’ensemble de la société, sans pour autant être au goût de tout le monde. Et elle prend l’exemple de Beyoncé.
Une autre femme noire réagit à sa vidéo en ajoutant le côté sociologique qui manquait à la première, selon moi : ce sont les normes de beauté imposées par la société et adoptées par les individus qui façonnent la beauté objective. Et dans la plupart de nos sociétés actuelles, malgré l’augmentation de la représentation et de la popularité des personnalités noires, une femme noire a très peu de chances d’être considérée comme objectivement belle.
La tiktokeuse ajoute que si l’on demandait à plusieurs personnes d’imaginer leur femme idéale, très peu penseraient à la décrire.
Et ça m’attriste immensément de me dire que des jeunes filles nées dix, quinze ou vingt ans après moi grandissent avec les mêmes discriminations traumatisantes qui ont pourri mon enfance. Okay, il y a des taxis qui roulent sans chauffeur quelque part à San Francisco, mais les petites filles noires (et racisées en général) grandissent encore en pensant qu’elles ne seront jamais assez jolies à cause de leur carnation. On évolue quand, réellement ?
Je ne vous apprends rien en disant que, quand on est jeune, on s’aime souvent en fonction de ce que le monde nous renvoie, et on construit notre confidence dans le regard de l’autre. Nous, ayant grandi en Europe, on n’était pas du tout du côté in de la beauté ou de la tendance. Pour ça, il fallait être blanche (ou très, très claire de peau), mince, avec très peu de formes, des lèvres pas trop charnues et un nez extrêmement fin et petit.
Alors, beaucoup d’entre nous ont détesté, pendant longtemps, la plupart de nos traits physiques. Fallait me voir à l’école primaire : je rêvais d’être blanche aux cheveux rouges et ondulants comme Ariel. J’aurais aimé que les miens restent raides. J’aimais pas mon nez gonflé le matin. J’aimais pas mes seins qui avaient poussé trop vite. J’aimais pas être si charnue. Je voulais être petite, fluette. Et blanche. Même pas pour plaire aux garçons, juste pour me plaire à moi-même et me fondre dans la masse. Passer joliment inaperçue et ne plus être celle qui fait tache.
Et il a fallu des années de détermination, de détachement, d’autopersuasion et de self-love exacerbé pour dépasser les jugements extérieurs qu’on avait fini par faire nôtres.
Mais vous savez ce que les femmes noires font de mieux (à part lancer des trends sensas et sauver le monde) ? S’uplifter mutuellement. On s’arrose d’amour et de fierté parce que personne d’autre ne le fera pour nous. On s’arrose jusqu’à ce que, comme dans La Belle au bois dormant, les ronces laissent place aux fleurs.
Je me suis tellement auto-aspergée d’amour et de certitudes, je me suis tellement battue pour me défaire des normes de beauté imposées, je me suis tellement battue contre mes démons susurreurs de doutes que j’ai acquis une foi inébranlable : je suis objectivement belle. Et une place de la République bondée de monde ne pourrait pas me convaincre du contraire.
Alors j’aimerais dire à ces deux tiktokeuses que nous sommes notre propre univers et notre propre baromètre. Le monde extérieur peut essayer de nous imposer sa beauté objective, mais c’est à nous de définir notre beau et de nous y incorporer.
Parce que dans le fond, la société, c’est qui, si ce n’est pas nous ?
Pour reprendre les mots salvateurs du réalisateur Ousmane Sembène : « Pourquoi voulez-vous que je sois comme le tournesol qui tourne autour du soleil ? Je suis moi-même le soleil. »
Oui oui, c’est narcissique. Mais sachez que se décréter lumière et beauté dans un monde qui fait tout pour te contredire peut être considéré comme un acte militant.
Ce sac à anse unique, pas du tout pratique mais tellement chipie, au défilé Dior SS26
Cette robe Basic Instinct, qui ne cachera jamais mes seins, chez Tom Ford
Cette combi Gabriela Hearst pour un after-work de qualité
Cette robe floue, trouée et exquise au dernier show Schiaparelli
Ce shooting CR Fashion Book par Nick Knight qui allie mon amour des animaux nocturnes et du drame
Cette jupe-pantalon Miss Sixty qui me donne envie de regarder Disney Channel
Ce ton sur ton Bottega incroyable qui vous dit : “ A vendredi prochain !”