Une folle noire au pays des blancs

La mode donne des ailes et le racisme dans les rédac’ des insomnies.

Je peux l'essayer en L ?
4 min ⋅ 26/09/2025

Loin de moi l’envie de tomber dans la psychophobie, mais quand j’étais plus jeune, j’ai lu un livre : Un fou noir au pays des blancs. Je ne me souviens plus très bien de l’histoire, mais c’est celle d’un homme qui quitte le Congo en plein conflit et part s’installer en Belgique. Évidemment, l’adaptation n’est pas facile. On le regarde et on le traite comme un étranger. Okay. Mais ce qui est drôle (ou carrément pathétique et effroyable), c’est que, trente ans plus tard, les enfants de cet homme sont sans doute encore trop souvent perçus comme des étrangers dans un pays qui les a vus naître et grandir.

Je vous arrête tout de suite : cette newsletter n’est pas celle d’une personne qui construit des ponts entre deux cultures pour apprendre à l’autre à ne plus avoir peur de ce qui ne lui ressemble pas. Ce ne sont pas mes affaires. Je ne suis pas l’office du tourisme et de la lutte contre le racisme ordinaire.

Contrairement à la plupart de nos parents, je ne ressens pas (plus) le besoin de tout faire pour être acceptée et faire accepter ma couleur de peau. Je suis phénoménalement moi aujourd’hui (comme dirait Maya Angelou). Mais hier, et le jour d’avant aussi, je me suis souvent sentie comme un « fou noir au pays des blancs ». Surtout dans le domaine dans lequel j’évolue.

Quand tu es une femme noire qui fait du journalisme de mode, à Paris ou à Bruxelles, tu te retrouves souvent à être la seule partout où tu vas. Et ça ne m’aurait pas plus dérangée que ça si on ne me l’avait pas autant fait ressentir.
Ça a commencé à l’université, quand un de nos profs nous a dit que, pour nous, ce serait beaucoup plus difficile de faire de la com ou des PR, parce que les entreprises aiment être représentées par des gens qui leur ressemblent.
Puis ça a continué lors d’un de mes premiers stages, où un rédacteur en chef m’a demandé si j’avais cassé dans la rue avec mes frères (Congolais qui manifestaient à Bruxelles contre l’esclavage en Libye), ce week-end-là. Et après, ça s’est enchaîné.

Au début, tu restes bouche bée et tu n’as pas la répartie que l’âge et l’expérience t’apportent. Alors tu es gênée et tu as presque honte. Tu te retrouves, même malgré toi, à tout faire pour ne pas entrer dans les clichés. Tu te la joues père d’Olivia Pope et tu es bien décidée à travailler deux fois plus pour obtenir deux fois moins.

Tu ne te plains pas ; tu es proactive et joviale et gentille et drôle et aidante et très ceci et très cela. Et pourtant, tu te retrouves quand même à être celle qu’on met sur la touche : celle à qui on vole impunément des sujets pour les donner aux autres ; celle dont on n’accepte pas l’autorité ni le statut ; celle qui, malgré tous ses efforts, fait peur, est jugée difficile, doit constamment être fliquée, est écartée des réunions ; celle qui est fautive jusqu’à preuve du contraire.
Alors, tu pleures beaucoup. Tu ne dors pas la nuit. Tes parents te supplient de quitter ce monde qui, selon eux, n’est pas fait pour toi ; et toi, tu es là, à regarder Les Scouts de Beverly Hills et à remettre toute ta vie en question. Tu commences par te demander si tu as fait quelque chose qui aurait pu déclencher toute cette animosité. Puis tu finis par découvrir que la plupart des gens qui te ressemblent subissent la même chose sur leur lieu de travail : le problème, ce n’est pas toi.

Lire des essais sur le racisme systémique, découvrir les concepts de misogynoir et d’intersectionnalité, et surtout parler à d’autres femmes noires travaillant dans la com ou le journalisme m’a libérée d’un poids : ma seule présence gêne les mauvais coeurs. Et rien de ce que je ferai ne pourra changer cela.

Alors j’ai décidé de faire ce que j’aime le plus et ce que je fais de mieux : être excellente, brillante et créative. Je n’attends plus la reconnaissance d’une quelconque hiérarchie, je n’attends plus une petite tape sur l’épaule accompagnée d’un « bien joué, Coumbis » — parce que je sais déjà que c’est génial.
Je suis géniale, et je suis géniale parce que je suis différente. Je suis géniale parce que j’ai été façonnée dans l’adversité et le rejet, et que cela m’a poussée à me dépasser, à me recréer sans cesse, à être intransigeante (surtout avec moi-même).
Je suis géniale parce que ma vie n’est faite que de cultures et de mélanges d’influences. Je suis géniale parce que ma mère nous a dit qu’on était aussi belles que Beyoncé et que les autres avaient tort. Je suis géniale parce que mes parents m’ont appris à me battre pour mes valeurs et à défendre ce en quoi je crois.

Et je crois que la mode occidentale n’est rien sans les enfants d’immigrés et les influences extérieures et étrangères. Elle n’est rien sans la culture nigériane, sénégalaise, congolaise, indienne — rien sans le style japonais, coréen, jamaïcain ou afro-américain. La mode n’est rien sans ceux qu’on aime pointer du doigt pour leurs différences et qu’on s’efforce de minimiser.

Nous avons le devoir de rester férocement nous-mêmes et de ne pas céder face aux pressions sociales et au racisme que nous vivons quotidiennement dans nos métiers. Oui, c’est dur d’oser être différent dans un monde qui tente, paradoxalement et sans cesse, de nous aseptiser. Mais c'est notre authenticité qui nous a menés jusque-là, et c’est elle qui nous ouvrira les portes. Nous n’avons pas à être la diversité facile ni la minorité docile. Nous n’avons qu’à être phénoménalement nous. Envers et contre tout.

Beaucoup de jeunes filles me demandent comment j’ai fait pour arriver là où je suis aujourd’hui (même si, pour moi, c’est encore nulle part). À ces filles pleines d’ambition et de doutes, je réponds : j’ai beaucoup pleuré, puis j’ai commencé à faire des doigts d’honneur.

Kaaris a dit : « Si tu veux pas, y en a qui veulent. » Et Booba a dit : « J’suis pas le bienvenu, mais j’suis là. Reprends c’qu’on m’a enlevé, j’suis venu manger et chier là. »

Si ma présence te gêne, va dans le bar d’à côté. Ici, c’est Paris (et Burberry).

Je peux l'essayer en L ?

Je peux l'essayer en L ?

Par Coumbis Hope Lowie

J’aime les petites fermes perdues dans la campagne bruxelloise, les sacs d’épaule de couleur vive, l’histoire de la mode, les potins mondains, la skincare et les journées tellement remplies et excitantes que tu n’as pas le temps de checker ton téléphone (et encore moins tes mails).

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